Les Autres/projeté à Visa pour l'image 2013

LES
AUTRES
Photos de Sylvain Leser / Haytham Pictures / projeté à Visa pour l'image Septembre 2013 (25ème édition)
Projeté à Siem Reap à Angkor-Photo pour le 9 ème festival
Nov 2013

Depuis l’année 2009, je vais à la rencontre de ceux que l‘on appelle les sans-toit-stable,
tentant ainsi de mettre un peu de lumière sur la misère urbaine parisienne.
La première image de ce sujet est le portrait d’une femme africaine qui a vécu quelques
semaines sur un banc de l‘avenue Foch.
Je me suis dit, la voyant là, dans sa nudité et comme perdue, que quelque chose d’anormal
se passait et que « le Boudu », ce vieux clochard que je croisais régulièrement deci delà,
avait bien changé.
En 2010, au cours d’un voyage en Hongrie, je rencontre le célèbre pasteur Gàbor Ivànyi qui
oeuvre sur tous les fronts de la précarité.
Il me posa cette question: “Et chez vous, comment ça va ?”.
Je lui répondis trop vite: “Tout va bien !”
De retour à Paris, je me décide à lui envoyer une vaste carte postale moderne et réelle, tel
un état des lieux des rues de Paris, où des hommes et des femmes de tous bords ont pris
refuge, le plus souvent auprès des monuments parisiens dont les lumières apportent un
sentiment de sécurité dans l’isolement redouté de la nuit.
Je donne alors un angle d’approche à cette vaste série d’images de laissés-pour-compte en
la nommant : « Les cloches des monuments ».
La même année, quelques voyages à Calcutta et Bombay me rappellent qu’à toutes les
époques et en tous lieux, il y a eu et il y aura des indigents et des intouchables.
En revenant, je constate que dans le pays où j’ai grandi, la situation est en train de changer.
Des centaines d’hommes et de femmes dorment également à même le pavé, errant comme
des fantômes sur les talus, les quais, les trottoirs, les grilles de chauffage urbain, dans les
stations de métro, les tunnels, les bois et autres trous où l’on peut se cacher pour survivre.
Alors je me permets de renommer ce sujet: « Merde in France », expression que je
prononce avec exclamation et interrogation.
Sur le terrain, les proportions sont telles que probablement aucun observateur des causes
sociales ne pourrait aujourd’hui analyser la situation avec justesse.
Après trois années de vadrouille nocturne, je livre une série non exhaustive de portraits
saisis dans leur contexte, constituant ainsi un reportage que j’appelle à présent: « Les
Autres ».


« De toutes les idées préconçues véhiculées par l’humanité, aucune ne surpasse en
ridicule les critiques émises sur les habitudes des pauvres par les biens logés, les
biens chauffés et les biens nourris. »
Hermann Melville Redburn, son premier voyage1849
Là, dehors, il y a environ 7000 individus, dont 5% de femmes qui vivent dans l’espace public
de Paris, rapporte le pôle Epidémiologie de l’observatoire du SAMU social.
Quel est le point de rupture ? Y a-t-il plus d’addictions et de troubles psychiatriques que dans
la population moyenne ? Ou bien ces personnes que je suis allé voir chez elles, dans la rue,
sont-elles M. et Mme tout le monde, eux, vous et moi, que la pauvreté aurait amenés là ?
En réalité, je pense qu’il n’y a aucune réponse toute faite qui ne tienne la route les
concernant et que c’est leur propre histoire, blessures et démons qui les ont conduits là.
Certains, qui étaient sans doute timbrés sont devenus fous, prenant ainsi refuge dans une
vie coupée de liens affectifs et familiaux, assis des journées entières sur le bord de la route à
regarder la bande humaine passante et affairée qui ne les voit plus.
Quelques uns boivent, mais ce n'est vraiment pas ce qui les réunit sur le trottoir.
J’ai rencontré des hommes et des femmes pour qui une paire de chaussures mouillées était
une catastrophe. Leur état de survie favorise des formes évidentes de régression, mais tous
ne se laissent pas aller à la clochardisation qui s’avère être l’étape finale.
J'ai remarqué chez la plupart, de la douceur mélangée à de la peur, des voix très douces,
presque effacées, de la gentillesse et de l'humilité lorsque de l'attention leur est proposée.
Je les ai pris en photo pour ne pas les oublier et je les montre afin que l'on ne s’habitue pas.
Après ces trois années de maraudes, il m’est encore difficile d’imaginer et d’intégrer ce que
c’est réellement que de vivre sans jamais rentrer dans un chez soi, au chaud, se laver,
manger à sa faim et être en sécurité. Toutes ces nuits passées à leurs côtés m’ont apporté
davantage de questions que de réponses.